J'entends ma respiration.
Courte, saccadée, essoufflée.
Je l'entends en moi et résonner tout autour de moi. J'entends également le bruit de mes bottines à petits talons venir claquer contre les pavés difformes de la ruelle. Le froid est là, il lacère ma peau et fait s'hérisser mes poils de bras. Je ne contrôle plus mes jambes, elles avancent et fusent sans que je ne puisse décider. L'instinct de survit sûrement. Et pourtant si je me retourne, il n'y aura personne à ma poursuite. Je serais seule dans ses rues sombres, où claquent mes pas et mes dents. Parfois je me demande ce que je fuis si souvent. Mon père, sans doute. Où peut-être moi-même ? La personne que je deviens lorsque je suis en sa compagnie. Depuis la mort de maman, il n'est plus le même. Depuis sept ans, il n'est plus l'homme paternel aimant, mais le monstre des livres d'enfants. J'ai appris, depuis le temps, à étouffer mes cris, à ravaler mes larmes, à cacher mes hématomes. Et pourtant même si les habitudes sont quotidiennes, je n'arrive toujours pas à m'y accommoder.

Il n'y a que ça qui m'aide.
Piqûres, cachets, pilules, poudres. Lorsque mes pupilles se dilatent, lorsque mon regard devient blanc, néant, je me sens loin de tout, je me sens bien. Trop jeune dîtes-vous ? Oh, certainement oui. Mais tant pis, je n'ai pas le choix. Enfin, je n'ai plus le choix. Je ne contrôle plus, je ne choisis plus de prendre de drogues, c'est la Drogue qui choisit. Elle est toujours là, où que mon regard se pose, je la vois, je la ressens. Le manque me consume et je ne tiens pas, je suis obligée d'aller vers elle, moi l'éternel aimant. Je suis jolie - encore, pour l'instant - mais je sais que ça ne durera pas, surtout à ce rythme. J'arrive encore à le cacher, du moins, je le pense. Mais après tout, ce ne serait pas une grande surprise pour les autres. La fille droguée de l'alcoolique, voilà ce que je suis, ce que je serais toujours.

Mes jambes ne stoppent enfin, mon front s'appuie contre un mur froid qui semble me réveiller. Ma poitrine se gonfle et se dégonfle, suivant le mouvement de ma respiration. Depuis combien de temps est-ce que je cours ? Depuis combien de temps est-ce que je suis arrêtée ici ? Je me perds dans le temps et l'espace. Mon corps est lourd, si bien que je me laisse tomber au sol, doucement, comme si je glissais d'un toboggan. Le bout de mes doigts picotent, chatouillent. Je suis en pleine re-descente.
Je suis Alys Johanne Geller, l'ancienne enfant qui avait la joie de vivre et le sourire aux lèvres.
Je suis Alys Johanne Geller, l'adolescente perdue et seule.